L'édifice est réparable déclara le préfet Delessert, qui dirigea la lutte contre l’incendie des 4 et 5 juin 1836. Mais quelle cathédrale veut-on et à quel prix ? Deux lois, signées les 5 juillet 1836 et 8 juillet 1837, répondent à ces questions.
Loi du 5 juillet 1836. Première initiative ministérielle
Dès son retour de Chartres le 7 juin, le ministre Sauzet dépose un « projet de loi tendant à ouvrir au ministère des Cultes un crédit de 400 000 F, pour être affecté à la réparation de la cathédrale ». Une commission examine les devis estimatifs. Son rapporteur, l’archéologue Vitet, député de Seine-Inférieure, présente à la Chambre ses conclusions : l’État paiera.
13 juin 1836. Propositions et arguments du rapporteur Vitet
Pour convaincre ses collègues de la responsabilité financière de l’État et de l’urgence des travaux, Vitet mentionne d’abord le rôle historique de l’édifice chartrain : « un des premiers essais sur une aussi vaste échelle de ce style à ogives qui, pendant trois siècles, a couvert l’Europe de tant de merveilles ».
Il rappelle que les cathédrales sont propriété de l’État depuis la Révolution, qu’elles le restèrent après le rétablissement du culte et que le Concordat de 1801 les maintint dans le domaine public.
Le projet de loi répartit donc la dépense entre l’État pour la restauration et la protection du bâtiment, et le département, la commune et la fabrique pour les travaux relatifs au culte (cloches et leur charpente).
Une couverture provisoire en planches
L’État financera la restauration de la charpente du comble principal, de l’abside et des transepts ; du parement intérieur des grands pignons du sud et de l’ouest ; des murs et de leurs assises du pourtour des grands combles ; des clochers. Évaluant les travaux au clocher nord à 60 000 F et l’ensemble de la maçonnerie à 150 000 F, dont 35 000 pour une couverture provisoire en planches des voûtes, Vitet obtient un total d’environ 200 000 F.
Une charpente et une couverture « incombustibles »
Venant à la charpente et à sa couverture, Vitet élimine bois et plomb pour des raisons de sécurité. Si, après l’alerte du 23 mai 1825, jour où la foudre traversa le clocher nord, on protégea la cathédrale du feu venant du ciel avec des paratonnerres (inscription « Billiaux, à Paris, an 1 825 »), on la protège désormais de celui venant des hommes. Vitet choisit une charpente « incombustible » en fer, dont le prix de revient au mètre « superficiable », calculé sur la base de celui de La Madeleine à Paris, s’élèverait à 600 000 F.
Aussi Vitet demande-il un crédit spécial de secours de 800 000 F, répartis moitié sur 1836, moitié sur 1 837. Le projet de loi est adopté par les deux Chambres et sanctionné par le roi le 5 juillet 1836. Un mois après l’incendie, un premier crédit est donc ouvert.
Vue du toit de la cathédrale de Chartres, 1836, aquarelle par J.-B. Lassus.
Loi du 8 juillet 1837. Deuxième initiative ministérielle : estimation et réalité
Un an a passé. L’architecte a découvert la calcination d’une assise des murs, des estimations de 1836 n’ont pas tenu.
Le ministre présente donc en mai 1837 un deuxième projet de loi « ayant pour objet d’élever à la somme totale et définitive de 1 500 000 F le crédit affecté aux réparations de la cathédrale de Chartres par la loi du 5 juillet 1836, et imputable sur les exercices de 1837, 1838 et 1839, par addition à son budget ordinaire ».
23 mai 1837. Présentation du nouveau projet
Le ministre étend la charpente métallique aux combles des bas-côtés, pour protéger les vitraux, irremplaçables. Le budget grimpe à 902 000 F. Il dresse un bilan des travaux effectués et en cours, des projets approuvés, proches de l’être, en examen et à l’étude :
- matériaux ou débris provenant de l’incendie emmagasinés ;
- travaux d’urgence achevés avant l’hiver 1836 ;
- projets définitifs rédigés : rétablissement des grands combles, consolidation des galeries et terrasses, reconstruction des charpentes de bas-côtés ;
- projets à soumettre dans un délai de deux mois : reconstruction du grand comble en fonte de fer laminé, approuvé à l’unanimité parmi dix-neuf autres (marché avec un entrepreneur parisien pour les modèles) ; réparation des murs calcinés supportant le comble ; pose de descentes en fonte pour l’écoulement des eaux des grands toits, et de chenaux en plomb ; réparation et reconsolidation du clocher sud ;
- projets en examen : couverture du grand comble en cuivre laminé (abandon du zinc) ; pose de paratonnerres, peinture de la fonte et des fers du grand comble ;
- projets à l’étude : restauration du clocher neuf ; réparation des balustrades et galeries ; reconstruction en fer de la charpente des bas-côtés.
La dépense totale approche les 1 600 000 F. Une deuxième loi devra être votée pour augmenter le crédit alloué et autoriser le report du crédit non utilisé sur 1837. On financera en partie l’augmentation en revendant plombs et fers provenant de l’incendie.
Propositions et arguments du rapporteur Chasles
Le maire de Chartres, député et conseiller général, commente le projet devant la Chambre des députés. Justifiant le nouveau coût des travaux réalisés, en cours ou à faire, expliquant la sous-estimation de certaines bases de calcul, il invite à voter le projet du ministre, mais en amende le calendrier.
Participation de l’Église
Le 24 juin 1836, l’évêque ouvre une collecte auprès du clergé et de l’ensemble des Chartrains : Le Glaneur dénonce l’absence de contrôle des fonds et la pression des quêteurs sur la population.
Le chapitre fait un don. La fabrique de la cathédrale recouvre de béton les voûtes pour permettre de célébrer les offices. Les eaux pluviales traversant encore les voûtes, l’évêque les fait couvrir d’une chape de plomb.
1841, clochers restaurés, charpente (nef, chœur) terminée
Au pignon occidental du grand comble, une inscription en relief sur une plaque, liste les acteurs du chantier : « Accary-Baron architecte, Mignon constructeur de la charpente en fer et fonte, Émile Morin fondeur à Fourchambault, Quénehen constructeur en couverture en cuivre, Piébourg constructeur de maçonnerie ».
Les cloches sont replacées en 1840, les orgues réparées en 1846, des travaux complémentaires sont effectués.
Si la couverture vert-bleuté de la cathédrale enchante, comme le blé en mai, on aime imaginer sa couverture encore rutilante.
Les architectes diocésains font leur apparition, de nouveaux noms émergent, d’autres s’effacent…
Nouveau comble, de fer et fonte, de la cathédrale.
Épisode précédent et fin
> Épisode 3 : en décembre, découvrez la suite et fin de l'histoire de l'incendie de la cathédrale de Chartres avec : « Après l’argent du sauvetage, les hommes qui l’ont permis : architectes et entrepreneurs, ouvriers chartrains et euréliens, artistes. »
► Auteure : Juliette Clément, directrice de publication de la Société archéologique d’Eure-et-Loir (SAEL 28).
► Sources et clichés : fonds SAEL, fond médiathèque de Chartres, Archives départementales d'Eure-et-Loir.