Investissements records, fiscalité stable et endettement maîtrisé, le compte administratif 2024 de la Ville de Chartres illustre un modèle de développement à la fois dynamique et en équilibre. Les explications de Jean-Pierre Gorges.
Votre Ville : Comment investir beaucoup sans augmenter les impôts locaux et en maîtrisant l'endettement ?
Jean-Pierre Gorges : Ce compte administratif 2024 est la démonstration concrète de la méthode de gestion de la Ville de Chartres que nous appliquons depuis 25 ans. Nos opposants successifs, les plus anciens comme ceux d'aujourd'hui, ont condamné cette méthode. Elle devait, ont-ils dit, conduire à la ruine. La Ville ne pouvait pas investir autant sans se heurter rapidement au mur du déficit et de la dette. Or, 25 ans plus tard, elle aura investi plus de 600 millions d'euros et Chartres métropole le double ! J'ai toujours affirmé que l'important dans une dette n'est pas son montant, mais seulement la capacité de son emprunteur à la rembourser.
La dette de Chartres pourrait être remboursée en moins de 10 ans si la Ville cessait d'investir. Et surtout, en un quart de siècle, la transformation de Chartres saute aux yeux de l'observateur. Et nous le faisons en « restant fidèle à son Histoire ». La Ville et l'Agglo ont rattrapé des décennies de retard en matière d'infrastructures et d'équipements publics. Nous l'avons fait en baissant pendant presque 20 ans les taux des impôts locaux des Chartrains, et en gardant stable le taux de la taxe foncière pendant ce mandat qui s'achève. Cette méthode a donc prouvé ses vertus. Car il n'y a pas de miracle, mais seulement la mise en œuvre d'un développement dans tous les domaines qui résulte d'une approche, d'une vision globale de ce que doivent être une ville et une agglomération d'aujourd'hui.
En 25 ans, la Ville aura investi 600 millions d'euros et Chartres métropole le double !
VV : Cette méthode, comment la définissez-vous ?
JPG : La réussite et la durabilité d'un modèle reposent d'abord sur son équilibre, et la difficulté de l'exercice réside dans votre capacité à maintenir cet équilibre dans un organisme en mouvement. Et pour en revenir à nos finances, votre modèle ne peut rester à l'équilibre si vos dépenses de fonctionnement mangent vos capacités d'investissement, comme c'était le cas durant le quart de siècle qui nous avait précédé. Vous pouvez regarder tous nos comptes administratifs année après année depuis 2002 : tous affichent un excédent de fonctionnement, lequel permet d'autofinancer en partie nos investissements, donne aussi confiance à nos partenaires financiers publics ou privés, nos prêteurs.
Et cet équilibre dynamique donne envie aux acteurs privés d'investir eux aussi, les particuliers comme les entreprises. Ceux qui produisent les richesses, car vous ne pouvez répartir la richesse que si elle a d'abord été produite. Alors vos rentrées fiscales augmentent, l'activité aidant, sans que vous ayez besoin d'augmenter les taux des impôts. Et vous pouvez même les baisser progressivement, surtout continûment. Si vos emprunts et votre dette ne servent qu'à financer l'investissement, votre modèle est toujours contrôlable, quels que soient les aléas du contexte économique national ou international ou les décisions de l'État qui, depuis plusieurs décennies, réduisent l'autonomie financière des collectivités locales, pourtant un principe constitutionnel.
À l'inverse de l'État, nous ne pouvons pas verser dans des déficits et une dette incontrôlables : nos budgets sont toujours présentés en équilibre, comme la Loi nous y oblige, et notre fonctionnement est toujours en excédent. En cas de crise, il est toujours plus facile de réguler le rythme de vos investissements que de stopper la dérive d'un fonctionnement, comme c'est le problème de la France.
Nos budgets sont toujours présentés en équilibre et notre fonctionnement est toujours en excédent.
VV : Pourtant vous avez subi la suppression de la taxe d'habitation…
JPG : C'était une erreur, une décision électoraliste. L'État en a plus ou moins compensé le montant, mais la Dotation globale de fonctionnement, c'est-à-dire la subvention annuelle versée par l'État à chaque collectivité, n'est plus indexée sur l'inflation. Et donc, elle baisse en réalité régulièrement. Aujourd'hui, les versements solidaires de Chartres métropole à chaque commune de l'agglomération sont quasiment deux fois supérieurs à la DGF de l'État. Je parle notamment de la Dotation de solidarité communautaire (DSC) qui n'est pas obligatoire aux termes de la Loi, et que vous pouvez donc réduire ou même supprimer en cas de nécessité. Mais à quoi servirait d'avoir construit une agglomération à l'économie dynamique, si ses communes et ses habitants n'en recueillaient pas le bénéfice ?
VV : Votre modèle peut-il répondre durablement au désengagement financier de l'État ?
JPG : Nous l'avons anticipé depuis longtemps, d'abord en mutualisant les services de la Ville et ceux de Chartres métropole. Dans la zone urbaine, car je mets à part les villages qui ont à l'évidence leur logique propre, nous sommes d'ailleurs la seule commune à l‘avoir fait, avec les économies de fonctionnement qui en découlent… Et surtout, nous avons mis en place progressivement depuis une décennie au moins un réseau d'entreprises publiques locales (EPL), qui gèrent et conduisent l'action de nos services publics communautaires : transport, eau, énergies, etc. Ces services étaient auparavant rendus par de grosses entreprises nationales ou internationales : c'était le système de délégation du service public. Leurs bénéfices retournaient à leurs sièges parisiens. Aujourd'hui, l'usage de leurs excédents d'exploitation est gouverné par l'Agglo, qui les affecte à ses priorités votées en Conseil communautaire.
Nos opposants s'opposent à ce système par idéologie. Mais leurs amis le copient et l'utilisent quand ils sont aux affaires dans d'autres villes. C'est pourtant un système efficace, transparent et au total plus démocratique. Et pour rester sur le plan financier, notre réseau d'EPL accroît véritablement notre autonomie financière. C'est l'organisation pertinente qui permet de compenser et au-delà le désengagement financier de l'État.
VV : Votre modèle de développement est-il achevé ?
JPG : Ce modèle de développement est à ce jour encore en mouvement, adaptable selon les opportunités et les nécessités et surtout selon les demandes des Chartrains. Car au bout du compte, ce sont eux qui décident. Et pas seulement lors des élections : nous n'avons jamais attendu celles-ci pour tenir très régulièrement ces réunions de quartier où nous écoutons beaucoup les habitants. Ces échanges francs et réguliers nous guérissent de toute tentation technocratique, si elle existait. Par exemple, notre conception de « la ville apaisée » est née de ces conversations collectives. C'est là que vous comprenez que la réduction de la vitesse des voitures à 30 km/h ne peut réussir sans la suppression progressive des feux tricolores. Les gens ne vous demandent pas de miracle, ils vous demandent d'assurer la fluidité de leur vie quotidienne dans la cité, de la vie commune. Le reste, ils s'en chargent, liberté oblige.
Nous n'avons jamais attendu des élections pour tenir des réunions de quartier, où nous écoutons les Chartrains.